Vieille carte du Timor (1522 manuscrit du journal de Antonio Pigafetta)
Vieille carte du Timor (1522 manuscrit du journal de Antonio Pigafetta)

L’assassinat du gouverneur portugais de Timor en 1887

Ecrit par René Pélissier.

Texte extrait (pp. 31-33) du livre de René Pélissier: Portugais et Espagnols en “Océanie”. Deux Empires: confins et contrastes 154 p. 4 cartes, 2010, éditions Pélissier, Orgeval, France.

ON TUE LE REPRÉSENTANT DU ROI DE PORTUGAL À TIMOR

Un gouverneur actif mais mal secondé

Comme Isidro Posadillo à Ponape, le gouverneur de Timor, Alfredo de Lacerda Maia (26 septembre 1885 – 3 mars 1887), est un officier de marine. Il est jeune et enthousiaste, travailleur et, semble-t-il, honnête. Ce qu’il veut, c’est sortir son île du discrédit où elle végète depuis des siècles. Initialement, il n’a plus que 50 soldats européens et attend 150 Mozambicains et huit canons de campagne. Il mène une politique de relance de la culture du café en donnant des plantes à certains liurais coopératifs. Il en exempte plusieurs du paiement de la finta (l’impôt dû par les reinos à l’Administration). Plus original, il visite longuement les reinos intérieurs, débouche même sur la contra-costa (la côte sud-orientale, sur la mer de Timor, jusqu’alors pratiquement abandonnée) et inspecte les postes portugais disséminés sur la côte nord. Il essaiera d’ouvrir des pistes dans ce pays qui en est encore aux sentiers. Il doit faire face en mai-juin 1886 à quelques troubles au Maubara (ex-enclave néerlandaise) et, s’il n’en sort pas clairement vainqueur, il n’a, contrairement à certains de ses prédécesseurs, pas enregistré de défaites humiliantes. Pour la première fois, les Portugais ont utilisé des fusils se chargeant par la culasse dont la rapidité de tir a surpris les rebelles.

Son principal mérite reste cependant d’avoir intériorisé sérieusement l’Administration en intervenant loin de la côte nord. En revanche, il a choisi comme secrétaire un alferes (sous-lieutenant) déjà impliqué dans des atrocités lors de la répression de la révolte de 1879.

C’est le type même de l’officier colonial brutal et méprisant envers les autochtones y compris les plus solides remparts des autorités, les fameux moradores de Dili sans qui rien de sérieux ne peut être entrepris militairement. Les soldats mozambicains recrutés et déportés de force sont des ivrognes incapables de comprendre le portugais et d’apprendre le maniement des fusils Remington. Quant aux métropolitains ravagés par les maladies, mieux vaut les oublier à cette époque.

Jurant de se venger de l’alferes, une centaine de moradores décident de lui tendre une embuscade afin de le tuer puisque le gouverneur ne veut pas entendre leurs plaintes répétées. Dans une société où la violence est constante et la perte de la face pire que la mort, même chez des détribalisés, urbanisés et plus ou moins lusitanisés, voire “assimilés”, on ne transige pas avec l’honneur de ces supplétifs qui se savent indispensables aux Portugais.

Une explosion sans lendemain

Pour le malheur du gouverneur, ne trouvant pas son secrétaire , c’est lui, le représentant du Roi de Portugal, devenu menaçant, qu’une centaine de moradores assaillent et blessent dans les faubourgs de Dili, le 3 mars 1887. Alors qu’il s’enfuyait, ils l’achèvent. Il n’échappe à la décapitation rituelle que grâce à l’entremise de justesse de deux officiers des moradores qui parviennent à interdire à leurs hommes ce sacrilège dont on n’ose envisager les prolongements si on coupe le lien mystique avec la Couronne, dans une île aussi éruptive. Quoi qu’il en soit, c’est le mythe de l’assimilation portugaise qui a bel et bien volé en éclats. L’ampleur du désarroi chez les officiers portugais est à la hauteur de celui des “insurgés”. Dili est mis en état de siège (canons et une mitrailleuse en batterie dans les rues), tandis que les assassins se sauvent dans la montagne. L’alferes est placé sous la protection du Supérieur de la mission et embarqué le lendemain sur le vapeur qui transporte les télégrammes à Sourabaya*, pour aviser Macao. Avec une célérité inhabituelle, le gouverneur de Macao dépêche cent soldats européens et huit officiers subalternes plus un colonel. Ils arrivent à Dili, dès le 29 mars. On entre ensuite dans une invraisemblable querelle ou plutôt polémique entre la Marine, l’Armée, la mission catholique**, les antimonarchistes, les francs-maçons, les Macaenses, les métropolitains, la presse des uns et des autres, etc., pour savoir qui est coupable.

Ce qui est incontestable c’est que:

a) l’enquête puis la “Justice” de Macao nous laissent dans un brouillard opaque: nous ne savons toujours pas si les coupables ont été condamnés.

b) le Bataillon des moradores a été dissous.

c) il n’y a pas eu de coalition entre ces derniers et les liurais des reinos.

d) la paralysie des militaires n’a pas été mise à profit par les chefferies, même les plus turbulentes, pour fondre sur la capitale.

e) l’accès de l’intérieur n’a pas été interdit aux autorités***.

Après une telle gifle mettant en lumière la précarité de l’emprise portugaise dans une “colonie” multiséculaire, on assistera à un ressac administratif, à une sorte de gestion flasque jusqu’à la fin de l’année 1889, avec une seule campagne de quelque importance en novembre 1889, qui sera examinée plus avant. Nous venons de survoler de très haut**** des événements graves survenus dans une vieille “colonie” ibérique en Insulinde. Voyons en maintenant leur pendant dans une “colonie” toute fraîche (guère plus de quatre mois) dans les Carolines en 1887, dans une petite île également dangereuse pour tout pouvoir européen prétendant la dominer.

Remarques:

* Il n’y a pas encore de télégraphe à Dili. Tout dépend des Néerlandais en ce domaine.

** Il n’y a pas de Protestants à cette époque et surtout pas de prêcheurs néerlandais, britanniques et encore moins américains.

*** Un nouveau gouverneur (arrivé en août 1887), ex-aide de camp du Roi Dom Luís à Lisbonne, pourra même revisiter la contra-costa.

**** La seule étude un peu plus détaillée à ce jour figure dans René Pélissier: Timor en guerre. Le crocodile et les Portugais (1847-1913), 368 pp. éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1996 (prix: 55€). Voir les pages 103-112.

Le livre de René Pélissier: Portugais et Espagnols en “Océanie” – Deux Empires: Confins et Contrastes, (prix 32€) éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 2010. E-mail: viapelbooks@wanadoo.fr

L’auteur: René Pélissier est spécialiste de Timor et de l’Afrique lusophone et hispanophone, premier docteur d’État ès lettres à avoir soutenu une thèse en Sorbonne (1975) sur la colonisation portugaise moderne.

Copyright © René Pélissier

ŒUVRES DE RENÉ PÉLISSIER:

– Los territorios españoles de Africa, Instituto de Estudios Africanos. Madrid, 1964

– Études hispano-guinéennes, éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1969

– Les guerres grises. Résistance et révoltes en Angola (1845-1941), éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1978

– Le naufrage des caravelles. Études sur la fin de l’empire portugais (1961-1975), éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1979

– La colonie du Minotaure. Nationalismes et révoltes en Angola (1926-1961), éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1979

– Explorar. Voyages en Angola et autres lieux incertains, éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1979

– Africana. Bibliographies sur l’Afrique luso-hispanophone (1800-1980), éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1981

– Naissance du Mozambique. Résistances et révoltes anticoloniales (1854-1918), éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1984

– Naissance de la Guiné. Portugais et Africains en Sénégambie (1841-1936), éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1989

– Du Sahara à Timor. 700 livres analysés (1980-1990) sur l’Afrique et l’Insulinde ex-ibériques, éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1991

– Don Quichotte en Afrique. Voyages à la fin de l’Empire espagnol, éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1992

– Timor en guerre. Le crocodile et les Portugais (1847-1913), 368 pp. éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 1996

– Les campagnes coloniales du Portugal (1844-1941), éditions Flammarion, département Pygmalion, Paris, 2004

– Spanish Africa – Afrique Espagnole. Études sur la fin d’un Empire, éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France) 2005

– Angola. Guinées. Mozambique. Sahara. Timor, etc. Une bibliographie internationale critique (1990-2005), éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 2006

– Portugais et Espagnols en “Océanie” – Deux Empires: Confins et Contrastes, éditions Pélissier, Montamets, 78630 Orgeval (France), 2010

À propos Marco Ramerini

I am passionate about history, especially the history of geographical explorations and colonialism.